Faut-il dater du xix^e siècle la naissance d'une civilisation de l'image ? Des faits de société (progrès de l'instruction, développement de la presse et de l'imprimerie) se rencontrent en tout cas avec des innovations techniques (la photographie) pour donner à l'image une importance inconnue : elle déborde le cadre traditionnel des beaux-arts et s'introduit dans le livre. Elle règne encore dans l'espace public du journal par la caricature, envahit la ville par l'affiche et la sculpture. Instrument de propagande, elle oppose sa résistance à l'évolution des mœurs (retenant par exemple les femmes au seuil de leur émancipation), à moins qu'elle ne se mette au service de la reconquête des cœurs que tente l'Église catholique. Celle-ci compte sur la force émotionnelle et symbolique des images pour retrouver le public qu'elle a perdu. Le conflit entre république et monarchie, laïcité et religion, s'inscrit exemplairement dans le conflit qui oppose la républicaine Marianne à Marie, la mère de Dieu.
L'image manifeste ainsi sur le vif l'esprit d'un temps. Avant les surréalistes, Baudelaire ne craint pas de la placer au principe de la littérature et des arts. L'image, c'est la part de soi liée au rêve, à l'imaginaire, à l'enfance. Elle structure l'individu, ouvre l'accès aux sources profondes du Moi.
Plus que de traquer des significations, ils s'agit ici d'observer des usages, de se laisser surprendre par des rencontres. Défiant les barrières tendues entre les sciences et les arts, le public et le privé, l'image remplit une fonction médiatrice. En un temps qui voit lavènement de l'individu, elle maintient le contact avec la communauté, offre au sujet un langage pour dire la part obscure qui l'habite.