Mars 1892. Une trentaine d'Amérindiens Kaliña de Guyane sont présentés aux Parisiens sur la pelouse du Jardin d'Acclimatation. Simple curiosité aux yeux des visiteurs qui se pressent aux « exhibitions ethnographiques » organisées en cette fin de siècle, la venue en France de ces familles, au cours de l'hiver, prendra une dimension tragique : un certain nombre d'Indiens tombent malades, trois d'entre eux, plus peut-être, mourront en cette terre étrangère. Un premier voyage, amenant d'autres familles, au Jardin d'Acclimatation dans les mêmes conditions avait été organisé en 1882.
Le prince Roland Bonaparte réaliste en 1882 et 1892 la série des portraits des Kaliña au Jardin d'Acclimatation, dont les clichés ont été conservés à Paris dans les archives du musée de l'Homme et de la Société de géographie. Cette photographie anthropologique caractérisée par l'application systématique des poses de face et de profil procède de « l'exactitude documentaire » que préconise à la même époque Alphonse Bertillon pour l'identification judiciaire.
Aujourd'hui ces images muettes, véritable « lieu d'oubli », sont confrontées à la parole kaliña. Les plus anciens parmi les Kaliña de Guyane ou du Surinam font revivre ces hommmes et ces femmes à travers les souvenirs entremêlés de leurs lointains voyages. Par l'expression de cette mémoire douloureuse, qui prend une valeur toute particulière en cette année 1992, les Kaliña revendiquent déormais de faire reconnaître leur histoire propre, une histoire longtemps déformée, dévalorisée, occultée, autour de laquelle se fait et se refait l'identité de leurs peuples.